Tout au long de l’année 2024, un travail de recherche exploratoire mené par Amélie Tahel, docteure en Sciences de l’Information et de la Communication, Marine Besse, chargée d’études en sciences sociales indépendante et Blanche Gaud, étudiante en Master Recherche et Expertise en Sciences Sociales du Politique (RESSP) à Sciences Po Rennes, stagiaire au sein de la Chaire TMAP, s’est intéressé à la manière dont les initiatives citoyennes s’engagent dans une démarche visant à favoriser la résilience alimentaire de leur territoire, notamment au travers de tiers lieux nourriciers. Elles ont choisi comme cas d’étude l’exemple du tiers lieu agri-culturel Les Serres, créé à l’initiative de Bien Vivre en Bretagne Romantique.
A la suite des premières consultations menées par les autrices, le sujet à analyser est devenu une évidence : Alors même que l’engagement citoyen incarné par BVBR semble vertueux pour le dynamisme de territoire, quels facteurs font obstacle à des coopérations solides et durables entre ce projet de tiers-lieu et les pouvoirs publics locaux ?
La note de recherche explore les facteurs favorisants ou freinant ces partenariats, soulignant des divergences de temporalités, de langage et de perceptions entre acteurs citoyens et institutions. L’étude s’appuie sur des ateliers participatifs, des entretiens et une analyse de données exploratoire. Elle met en lumière les difficultés liées à la réglementation, à la définition des rôles et au manque d’interconnaissance des fonctionnements de chacun des éco-systèmes ralentissant ou empêchant ainsi les collaborations. Enfin, elle suggère des pistes d’ouverture s’inscrivant dans des coopérations verticales ou horizontales.
Vous trouverez ci-dessous une synthèse qui s’attache à rester fidèle aux propos et conclusions des chercheuses et de ce fait, est exempte de toute interprétation de la part de BVBR. Le fruit de la recherche détaillé est disponible en suivant le lien : Tiers-lieux nourriciers
Le projet de BVBR
Le projet de BVBR ancre son action dans un système de valeurs qui valorise le lien social, le vivre ensemble et le faire autrement, en défendant un mode de vie ancré sur le milieu, qui doit engager les habitants dans une responsabilité partagée du milieu de vie, à l’image du « buen vivir », philosophie d’Amérique du Sud ».
Les objectifs de BVBR s’articulent autour de quatre axes de travail :
- Participer à la sensibilisation autour de la production alimentaire locale et de qualité et la souveraineté alimentaire,
- Favoriser l’interconnaissance, la rencontre, le lien social et le plaisir de faire ensemble ainsi que la connaissance de nos milieux,
- Sensibiliser la population à la diversité et la richesse de nos milieux de vie, environnements naturels, faune, flore et enjeu de l’‘air et de l’eau,
- Développer le Tiers lieu agri-culturel des Serres.
Pour en savoir plus sur BVBR et le Tiers Lieu Les Serres : 3 années d’actions citoyennes – 2021 à 2023
L’association est soutenue par la communauté de commune Bretagne Romantique, le département d’Ille-et-Vilaine, la région Bretagne, la Direction régionale de l’Alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Bretagne (Draaf) et l’Ademe.
Tiers lieux nourricier et collectivités locales : exemple de BVBR
Les tiers lieux sont le plus souvent initiés par des collectifs de citoyens. Les chercheuses soulignent le fait que « les tiers lieux expérimentent un faire autrement qui vient perturber la pratique de l’action publique ». L’enquête menée à partir de l’exemple de BVBR cherche à explorer certains points de difficulté dans la construction de coopération entre ces initiatives et les pouvoirs publics locaux.
Proximité et relations interpersonnelles : BVBR agit à l’échelle de la Bretagne Romantique, comme le cite la note de recherche, « en essayant d’y renforcer des liens de confiance et de proximité entre différentes catégories d’acteurs autour de l’enjeu de production et de consommation alimentaire ». Parmi les enjeux relevés, « la question de la proximité avec les élus·es est régulièrement évoquée ». On note une divergence d’appréciation de part et d’autre : l’association a besoin d’une reconnaissance pour les projets déployés tandis que les élus locaux s’interrogent sur les limites de leur fonction de représentation affirmant que la légitimation des projets locaux passe plus par l’octroi de subvention et la mise en place de partenariats.
- Projet agile et cadres contraignant : Les chercheuses précisent que « les coopérations entre tiers-lieux et collectivités confrontent deux modèles organisationnels dissemblables. L’un est un modèle agile, qui tend vers une gouvernance horizontale et qui met en œuvre des modes d’action hybride, multi-acteurs et expérimentaux. L’autre est un modèle en silo, très sectorisé, garant du respect des cadres réglementaires ». Les questions juridiques et administratives constituent des points et arguments de blocage entre les différents acteurs, d’autant plus que le temps des collectivités locales ne correspond pas à celui des tiers lieux, bénéficiant d’une plus grande rapidité d’action.
- Maturation de projet : La valorisation des circuits courts peut être un outil au service de la politique de cohésion sociale, comme le réclament les producteurs locaux qui militent en leur faveur. Le marché ambulant développé par BVBR, bien que perfectible, pourrait être l’un des outils de cette valorisation. Les chercheuses avancent que « BVBR pourrait constituer un appui intéressant dans la construction d’une politique publique sur la question alimentaire ». Comme le souligne un.e élu.e interrogé.e lors de l’enquête : « il n’y avait pas cette connaissance ou cette sensibilité à la production locale en Bretagne Romantique». Pour les pouvoirs locaux, la crédibilité de BVBR et de ses projets semble dépendre de sa capacité à faire ses preuves sur un temps long comme l’indiquent les chercheuses : « Au fil du temps, la maturité et la crédibilité du projet grandissent…Cet engagement sur le temps long semble être un facteur de réassurance pour les élu.e.s »
Les pistes d’ouvertures
- Le PAAT (Plan Alimentaire Agricole Territorial) comme objet de partenariat
BVBR est membre du COPIL au titre de distributeurs, avec le marché ambulant. D’autre part, les bénévoles de l’association ont participé à l’enquête grand public par des actions de tractage sur le territoire. La phase de diagnostic terminée, la CCBR entre dans la définition d’un plan d’action qui doit répondre aux besoins et attentes de la pluralité des acteurs du territoire. Un partenariat public-commun pourrait alors être initié (PPC), engageant ainsi une collectivité locale et une association de communs, comme par exemple une société d’intérêt communautaire. - Des coopérations au service de la transition écologique
La mise en réseau des tiers lieux nourriciers à l’échelle du contrat de coopération permettrait de leur donner de la visibilité. Ce type de réseau s’est développé sur d’autres thématiques, comme celle du coworking par exemple. Mais cela semble prématuré pour les tiers lieux nourriciers, encore en phase de maturation. D’autres types de coopération, impliquant tant des partenaires privés, publics et associatifs ont fait leurs preuves, comme par exemple la Vignotte Lab dans les Vosges, pourraient servir de modèles.
En conclusion, un dialogue constructif entre tiers-lieux et collectivités locales nécessite une interconnaissance des fonctionnements et objectifs de chacun, une volonté politique forte, une adaptation des cadres réglementaires et une reconnaissance de la contribution des tiers-lieux au développement local.