Jean Michel est en plein travail lorsqu’il m’accueille à la ferme. Comme quasiment tous les jours de l’année, il trie à la main des centaines de kilos de pommes de terre cultivées à la ferme de la Fretais avec son frère et sa belle-sœur. Elles sont ensuite livrées quotidiennement par son neveu ou lui-même à plusieurs dizaines de restaurants, centres de restauration collective et lieux de vente directe dans tout le Nord de l’Ille-et-Vilaine.

La pomme de terre et la vente en directe, dans la famille Piot, c’est une longue histoire. Elle commence vers 1935, avec Eugène Gallée, le grand-père de Jean-Michel qui innove dans la région en se spécialisant dans la culture des pommes de terre  sur plusieurs hectares.

Au début, ce sont donc 3 ou 4 hectares qui sont dédiés à cette culture, qu’il faut retourner et préparer à la charrue. La récolte, elle, se fait à la main.

A l’époque bien sûr, la question de la commercialisation en directe ne se posait pas : c’était quasiment l’unique moyen de vendre sa production. Se spécialiser sur une mono culture était donc un pari qui nécessitait de l’audace, de l’engagement et une nouvelle organisation. Les techniques de conservation ne sont pas aussi élaborées qu’aujourd’hui. Eugène, sitôt les récoltes terminées, partait en charrette à Rennes, ou il passait plusieurs jours pour vendre sa production. Lorsque la guerre éclate, les pommes de terre de la ferme de la Fretais jouent un rôle non négligeable pour nourrir la population rennaise.

Durant la période des récoltes, il fallait embaucher des saisonniers. L’arrachage durait jusqu’à deux mois dans une ambiance conviviale. Cette méthode de travail « à la main » va perdurer jusqu’en 1976, année où les parents de Jean-Michel, qui ont alors repris la suite du grand-père Eugène, investissent dans la première machine. Jean Michel avait 7 ans.

C’est ainsi qu’est née à St Symphorien, depuis les années 30 jusqu’à nos jours, à travers 3 générations, la spécialisation de la culture des pommes de terre aux portes de la Bretagne Romantique,

Après la guerre, les exploitations s’agrandissent. La ferme de la Fretais ne fait pas exception, les surfaces consacrées à la culture des pommes de terre augmentent.
Lorsque les parents de Jean Michel reprennent l’exploitation, ce ne sont pas loin de 10 hectares qui sont désormais cultivées et ramassées à la main.

La vente directe, et tout ce qu’elle représente comme logistique, devient moins pratique et plus coûteuseau vu des quantités. On assiste en parallèle à l’essor des premières grandes coopératives agricoles. C’est vers elles que vont se tourner les parents de Jean-Michel pour vendre directement leur production sans se préoccuper du stockage et la conservation. C’est la grande époque de la mécanisation des pratiques agricoles. On répond à la demande croissante des coopératives en s’agrandissant, en investissant dans des machines pour pouvoir exploiter des surfaces plus grandes, en se mettant ainsi à la merci des banques et des intermédiaires qui rognent sur les marges.

Lorsque Jean Michel reprend l’exploitation avec son frère et sa belle-sœur, ce sont 15 hectares de pomme de terre qui sont cultivés. Les autres activités périphériques de production de céréales et de lait sont peu à peu abandonnés et la culture des tubercules s’étend aujourd’hui sur près de 50 hectares. Pour Jean Michel, c’était comme une évidence : il n’a jamais eu aucun doute sur la reprise de l’activité de ses parents.

Le changement notable, c’est que Jean Michel est seul, son épouse à d’autres activités. Il fait donc partie de cette nouvelle génération où il faut concilier une activité chronophage et l’exigence d’une vie de famille dont le rythme ne tourne pas autour de celui de l’exploitation.

Jean Michel souhaite donc optimiser son activité en lui donnant du sens. Ce qu’il aime, c’est le contact avec la terre mais aussi le contact avec les gens. Il aime expliquer ce qu’il fait, comment il le fait et être fier de ce qu’il vend. Au début des années 2 000, il passe donc beaucoup de temps à diminuer ses engagements avec les coopératives. Dans un même temps, il développe la vente en directe en fidélisant une clientèle régulière de restaurateurs et de particuliers en Ille-et-Vilaine. Quand on produit près de 1 000 tonnes de pommes de terre par an, il ne faut pas rester les deux pieds dans les mêmes sabots pour en organiser la distribution… De fait aujourd’hui, c’est 50% de cette production qui est en vente directe et Jean Michel ne compte pas s’arrêter là.

Pour vous donner une idée, 1 000 tonnes de pomme de terre en vente directe cela représente près de 2,5 millions de repas… C’est un peu comme si La ferme de la Fretais pouvait nourrir à elle seule , les 35 000 habitants de la Bretagne Romantique tous les jours pendant un peu plus d’un mois !!! Bon, évidemment… à manger des patates midi et soir pendant 40 jours, on en aurait sans doute un peu marre, mais quand même cela donne une idée.

Et lorsque l’on parle de vente directe de pommes de terre, se pose le problème de la conservation, puis aussi de la réputation à une époque où les consommateurs sont de plus en plus regardants sur la qualité des produits et leur traitement.

Qu’à cela ne tienne, Jean Michel relève tous ces défis : en 2015, il investit dans des frigos immenses où il stocke sa production entre 3° et 7° selon la variété de pommes de terre et peut ainsi bannir tous les produits anti-germe qu’ils soient naturels ou chimiques, et vendre des pommes de terre bien fermes quasiment 10 mois par an.

Quand on est en mono culture, on est aussi très dépendant des aléas climatiques, et l’un des pires ennemis de la pomme de terre on le sait, c’est le mildiou.

Pour s’exonérer des contraintes des traitements préventifs que connaissent tous les agriculteurs, Jean Michel investit dans une station météo à la taille de son exploitation. Cela lui permet de calibrer les interventions en les diminuant de plus de la moitié, voire parfois de s’en passer. Pareil pour les déchets, qui sont désormais broyés : cela permet de les mélanger à la terre pour la nourrir : recyclage des déchets donc.

Les avantages de tous ces efforts sont nombreux : face à la transparence de la production et du circuit hyper court, les restaurants n’hésitent pas à mettre en avant leur fournisseur et la valorisation de son travail. Par ailleurs, Jean Michel garde un lien direct avec les consommateurs en cultivant une certaine fierté de nourrir les gens autour de lui.

Quant à l’aspect économique, Jean Michel m’explique qu’avec les coopératives, la rentabilité est très amputée. Par exemple lorsqu’il livre 10 tonnes de pommes de terre, le triage de la pomme de terre parfaite et sans défaut provoque une perte de quasi 30 % de sa production qui ne lui est ensuite pas payée. Et ce processus échappe à tout contrôle. Dis autrement, en coopérative, Jean Michel perd le bénéfice de 30 % de sa production dont le devenir passe sous ses radars.
Avec le circuit court tout le monde est gagnant : des prix de grossiste hyper attractifs et une rentabilité multipliée par 3 ou 4 pour Jean Michel.

Sa prochaine ambition ? Il la prépare depuis quelques temps déjà et elle devrait lui permette de se rapprocher à brève échéance d’une vente directe quasi totale de sa production.

Le marché ambulant ? Pour Jean Michel, c’est une idée sympa, qui était prometteuse pour lui au début, mais qui s’essouffle un peu et c’est dommage. Il a pensé un instant arrêter le marché, car livrer chaque semaine entre 10 et 20 kg de pommes de terre alors qu’il en livrait 300 kg au début, lui coûte plus cher que ça lui rapporte. Pour l’instant il reste car il aime bien l’idée et la dynamique solidaire que cela impulse sur un territoire de vie partagée, mais sans garantir que cela puisse durer éternellement.
Honnêtement, c’est bien dommage, car franchement, de belles pommes de terre ou carottes à 0,70€ le kilo, voilà de quoi nourrir bien des chaumières à prix raisonnable.